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quelles que soient leurs mortifications, elles n’égaleront jamais celles des fondateurs de la vie monastique, et pour rappeler au visiteur mondain que ces austérités, qui le choquent peut-être, sont aussi anciennes que le christianisme lui-même ; que dans l’Église, comme sous le soleil, il n’y a rien de nouveau et que, de saint Jean-Baptiste à saint Antoine, de saint Antoine à saint Benoît, de saint Benoît à saint Bernard, et de saint Bernard à notre siècle, la vie pénitente a eu dans tous les temps ses héros, ses légions de soldats volontaires, ses martyrs et ses saints. Chose étrange et bien digne d’admiration ! l’unité et l’immutabilité de l’Église se retrouvent partout, même dans les choses les plus variables par leur nature, et, entre les trappistes de nos jours et les premiers disciples de saint Antoine, visités et décrits par saint Athanase, il n’y a guère de différence que les seize siècles qui les séparent.

Le père Marie-Joseph, abbé de la Grande-Trappe de Mortagne, mort en 1855, qui m’avait toujours accueilli avec une grande bonté, n’était pas seulement un saint religieux, mais un homme d’une intelligence remarquable. Malgré les souffrances d’une maladie cruelle qui le tenait depuis vingt ans suspendu entre la vie et la mort et qui l’eût enlevé dix ans plus tôt s’il eût vécu dans le monde, il suivait la règle de son ordre dans toute sa rigueur. Son activité était incroyable, et il promena son mal jusqu’en Algérie, où il alla fonder l’établissement de Staouëli. C’était un agriculteur renommé, et sa réputation, à cet égard, était aussi connue parmi les hommes que sa sainteté parmi les anges de Dieu. Tous les trappistes pleurent encore ce bon père, qui les gouverna pendant près de trente ans avec autant de sagesse que d’amour.

L’autorisation de visiter l’intérieur du cloître n’est