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réformateur, mais en fils tendre et respectueux, en chrétien, en saint, et non pas en révolté.

À l’époque où il prit possession du siège épiscopal de Milan, Luther venait à peine de descendre dans sa tombe à la lueur sinistre de l’embrasement qu’il avait allumé dans le monde. Calvin, le second pape des réformés, dominait en maître, proscrivait, brûlait et réglementait les consciences à Genève. Henri VIII avait consommé son double divorce avec Rome et Catherine d’Aragon, et inauguré l’avènement de l’Église anglicane par cinq noces successives, suivies d’autant de répudiations ou de meurtres. De toutes parts, les peuples se soulevaient contre les princes, les princes contre l’Église, et tous noyaient leur réforme prétendue dans la débauche et dans le sang.

Saint Charles Borromée donna au monde d’autres exemples et s’y prit différemment pour réformer l’Église. Il commença par se sanctifier lui-même et par se retrancher jusqu’à l’usage légitime des choses permises, pour mieux en détruire l’abus autour de lui. Pendant les vingt-trois années que dura son épiscopat, il donna à l’Église et au monde le spectacle de l’austérité d’un anachorète au milieu de la richesse, de l’humilité dans les honneurs, d’une fermeté inébranlable jointe à la plus ardente charité, et de la soumission la plus absolue à l’autorité du Saint-Siège. L’immense fortune de cinq cent mille livres de revenu qu’il tenait de ses pères ne suffisait pas à ses aumônes et à ses bonnes œuvres ; il lui arriva de donner en un seul jour plus de quatre cent mille francs, et, dans d’autres circonstances, il vendit jusqu’aux meubles de son palais épiscopal pour en distribuer le prix aux indigents. Il donnait plus que sa fortune, il se donnait lui-même tout entier à son peuple bien-aimé. Quand cette peste, une des plus affreuses dont l’histoire ait gardé le souvenir désola Milan, on vit avec admiration le grand et saint archevêque mul-