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l’air plus léger et plus imprégné de vives senteurs ; le soleil, encore peu élevé au-dessus de l’horizon, donne aux ombres, avec une couleur plus transparente et plus douce, des formes plus longues, plus gracieuses et plus variées. Hélas ! il en est du matin d’un beau jour comme du matin de la vie ; tous les objets y apparaissent plus aimables et plus séduisants à travers le prisme brillant de la jeunesse : seulement la jeunesse de la nature venait tous les ans avec le printemps et tous les jours avec l’aurore, tandis que celle de l’homme brille un moment et s’éteint pour ne plus se rallumer… si ce n’est dans le ciel, au foyer de l’éternel amour !

Si nous ne trouvâmes pas dans la jolie ville d’Arona les spectacles splendides de la matinée, nous y goûtâmes d’autres émotions non moins douces, celles des souvenirs. C’est là, en effet, que naquit un des plus grands hommes, un des plus grands saints qui aient illustré l’Italie et l’Église, saint Charles Borromée, de haute et éternelle mémoire ; c’est là que, trois jours avant de retourner à Dieu, déjà mourant, il offrit, pour la dernière fois, le saint sacrifice de la messe. Le souvenir de ses premiers comme de ses derniers moments est donc lié à celui de cette humble ville, et il y est consacré par un monument certainement unique dans son genre, je veux parler de sa statue en bronze, qui s’élève au bord du lac et qu’on aperçoit de plusieurs lieues à la ronde.

Cet immense colosse domine tout le pays d’alentour, et nous étions encore assez loin d’Arona, que nous apercevions déjà la tête et les épaules du saint au-dessus des grands arbres qui l’avoisinent. Arrivés au pied de la statue, nous fûmes presque effrayés de sa hauteur : avec le piédestal de marbre qui la porte, elle est haute de cent trente-six pieds, c’est-à-dire un peu plus que la colonne Vendôme. On peut monter par un escalier intérieur jusque