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particulier ; il en est de même de celui des fruits qu’on y cueille : les uns et les autres sont remplis et comme imprégnés de l’air, de la chaleur et du soleil de l’Italie.

J’ai retrouvé récemment une de ces fleurs dans un portefeuille de voyage : elle est toute desséchée et son parfum est évanoui mais le souvenir du lieu où je l’ai cueillie n’est ni évanoui ni desséché dans mon cœur ; il y a conservé toute la vie et toute la fraîcheur du premier jour.

Si notre admiration fut vive, elle dura peu et n’atteignit même pas la fin de la journée. Vers une heure de l’après-midi, nous partîmes à pied pour Arona, longeant les bords du lac et croyant trouver partout sur ses rives les mêmes impressions. Mais, soit que notre pauvre nature ne puisse soutenir un long enthousiasme, soit plutôt que la scène changeât réellement d’aspect à mesure que le cours du soleil déplaçait les ombres et que nous avancions dans notre voyage, le spectacle qui nous avait si fort émus le matin perdit insensiblement à nos yeux une partie de sa splendeur et de sa beauté : tant il est vrai que, dans l’ordre matériel aussi bien que dans l’ordre moral, il n’y a qu’un seul point de vue véritable, et qu’une fois ce point de vue déplacé, les choses même les plus dignes d’admiration perdent leur harmonie et leur charme ! Et c’est même (pour le dire en passant) ce qui explique les préjugés quelquefois invincibles, quoique bien grossiers, que nourrissent contre la vérité ceux qui ne la voient qu’à travers l’erreur dans laquelle ils sont nés et ont grandi.

Je crois aussi, en ce qui concerne la nature matérielle qu’elle paraît toujours plus belle au matin qu’au milieu du jour. Comme les créatures vivantes, les choses inanimées ont leur réveil qui est plein de charme ; la verdure est plus vive sous la rosée du matin, l’eau plus transparente,