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Voilà comment les premiers soldats de Jésus-Christ mouraient et triomphaient de leurs persécuteurs. Il faut avouer que les soldats de la Réforme, qui prétendait revenir aux temps primitifs de l’Église, n’ont pas employé les mêmes procédés, pour assurer l’établissement de leur foi dans le monde ! Ils savaient bien que, si Dieu suffit à une œuvre divine, à une œuvre tout humaine il faut des moyens humains.

De Martigny, nous suivîmes la route qui mène au Simplon  ; je n’en parlerai pas car, si rien n’est plus varié que l’aspect des montagnes, rien n’est plus monotone que les descriptions qu’on en voudrait faire. Dieu, avec de la terre, des rochers, des sapins et de la neige, a fait des milliers de montagnes dont aucune ne se ressemble, comme avec des yeux, un front, un nez et une bouche, il a su varier à l’infini les visages humains. Mais l’homme ne peut pas plus rendre par des descriptions les nuances des montagnes que celles des visages. Telle est son impuissance, que ce que Dieu a fait de rien, il ne peut même pas le raconter, et, lorsqu’un écrivain a su, par labeur ou par génie, retracer dans un livre une image saisissante quoique bien affaiblie de ces merveilles de la création, c’en est fait, c’est un grand homme, et l’histoire le proclame immortel.

Nous gravîmes avec peine la route hardie et pittoresque du Simplon, et nous arrivâmes à l’hospice qui est au sommet, les vêtements et le visage tout mouillés par un nuage qui, montant avec rapidité le long de la montagne, nous avait enveloppés en passant et pénétrés de sa vapeur humide. Cet hospice est tenu par de bons religieux comme ceux du grand Saint-Bernard, qui se sont établis sur ces hauteurs pour offrir une hospitalité gratuite et tous les secours de la charité aux voyageurs qui traversent la montagne. Ils reçoivent tout le monde, pauvres et riches.