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et chrétien qui s’y rattache. Près de cette ville se trouve un champ de bataille où se livra, il y a plus de quinze cents ans, un combat fameux, unique dans l’histoire. On avait vu dans les siècles passés et l’on a vu depuis l’héroïsme d’une troupe de gens de cœur tenir en échec pendant des heures et des jours des armées innombrables ! On avait vu Léonidas et ses trois cents Spartiates défendre les Thermopyles contre les flots envahisseurs de l’armée des Perses, et mourir jusqu’au dernier pour la gloire et pour la patrie ! Mais ce qui était sans exemple, et ce qui l’a été depuis dans le souvenir et dans l’admiration des hommes, c’est le spectacle d’une armée entière, composée de six mille soldats forts, jeunes et courageux, d’une armée héroïque, connue dans tout te monde par sa valeur et ses victoires, se laissant égorger sans résistance depuis son commandant en chef jusqu’au dernier de ses soldats, pour obéir à Dieu et à son souverain. C’est le spectacle qu’offrit aux hommes stupéfaits et aux anges ravis le martyre de saint Maurice et de la légion thébaine qu’il commandait.

En ces lieux mêmes que nous foulions aux pieds campait cette légion bénie de Dieu, qui ne comptait que des chrétiens et des chrétiens fervents. C’est là qu’elle reçut de l’empereur Maximien cet ordre inique de mettre à mort les hommes, les femmes et les enfants qui refuseraient de sacrifier aux idoles ; c’est de là que Maurice, Candide et Exupère écrivirent à l’empereur, au nom de tous leurs compagnons déjà deux fois décimés, cette réponse incomparable qui a retenti jusqu’à nous à travers les siècles et qu’on ne peut relire sans que les yeux se remplissent de larmes d’admiration :

« Nous sommes vos soldats, seigneur, mais nous sommes serviteurs de Dieu ; nous vous devons le service militaire, à lui l’innocence ; vous nous donnez notre paie,