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arrivée, il vous a envoyé pour couvrir mon corps de terre.

À ces mots, Antoine fondit en larmes, et, dans sa douleur, il le priait de ne point l’abandonner ou de l’emmener avec lui. Mais Paul lui répondit :

— Vous ne devez pas chercher ce qui vous serait avantageux à vous-même. Il est utile pour les frères que vous restiez encore pour les instruire par votre exemple. Allez donc, je vous prie, si ce n’est point une trop grande peine pour vous, et rapportez-moi, pour envelopper mon corps, le manteau que vous a donné l’évêque Athanase.

Saint Paul voulait ainsi éloigner saint Antoine et lui épargner le chagrin de le voir mourir, car il savait que sa dernière heure était venue.

Antoine, auquel Athanase avait, en effet, donné son manteau en signe de respect et d’amitié, et qui savait que Dieu seul avait pu révéler cette circonstance à saint Paul, crut voir en lui la vertu même de Jésus-Christ et n’osa rien répliquer. Il lui dit donc adieu, et, lui ayant baisé en pleurant les yeux et les mains, il retourna à son monastère, précipitant ses pas et courant plutôt qu’il ne marchait, malgré son grand âge. Deux de ses disciples, qui le servaient, vinrent au devant de lui et lui dirent :

– Mon père, où avez-vous demeuré si longtemps ?

Lui, tout en larmes :

— Ah ! malheureux pécheur que je suis, dit-il, je porte bien à faux le nom de moine ! J’ai vu Élie, j’ai vu Jean dans le désert, j’ai vu Paul dans un paradis !

Il n’en dit pas davantage, et, se frappant la poitrine, il prit dans sa cellule le manteau d’Athanase. Ses disciples le priaient de s’expliquer ; mais il leur répondit :

– Il y a un temps pour parler et un temps pour se taire !