de quinze mille sur une population de trente-sept mille âmes. À voir un tel progrès accompli en cinquante ans, on peut espérer qu’à la fin du siècle la Rome du protestantisme ne renfermera plus un seul protestant.
En quittant Genève, nous suivîmes la route qui mène à Chamouny, et nous nous arrêtâmes le soir aux bains de Saint-Gervais, d’où nous voulions partir à pied le lendemain pour faire l’ascension du mont Joly ; c’est une des montagnes les plus élevées des Alpes, et, quoiqu’elle fut alors peu fréquentée par les touristes, des gens du pays nous avaient affirmé que du sommet on embrasse une vue incomparable d’étendue et de beauté.
Le lendemain matin, à six heures, nous partîmes avec un guide et des provisions bien nécessaires, car la montagne que nous allions gravir est haute de huit mille pieds, et nous avions six lieues à faire pour parvenir au sommet. C’était la première fois que je tentais une expédition de ce genre, et, par ce motif sans doute, cette ascension du mont Joly m’a laissé des souvenirs impérissables.
À mesure que nous avancions dans la montagne, les chalets devenaient plus rares, les arbres faisaient place aux arbustes, la verdure elle-même s’appauvrissait peu à peu, et, déjà, de place en place, nous avions à traverser des espaces nus et arides parsemés de pierres et de roches brisées. Bientôt la pente devint plus escarpée, le flanc de la montagne plus dépouillé. Par moments, nous longions des précipices dont la vue nous tentait de vertige et nous forçait à nous rejeter de l’autre côté du chemin que nous gravissions. Il nous fallut ainsi, pendant un quart de lieue environ, côtoyer un abîme de quatre mille pieds, absolument à pic, et dont le souvenir seul me fait encore frissonner quand j’y pense : on eût dit que la montagne avait été coupée perpendiculairement de ce côté, avec un