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il avait reconnu vingt fois, dans ses écrits, l’incontestable divinité. Modèle involontaire, je veux le croire, de cette race d’écrivains de nos jours, qui, soit inconséquence, soit hypocrisie, entremêlent leurs blasphèmes contre Jésus-Christ d’hommages et d’adorations insupportables, et qui attaquent le christianisme en se disant chrétiens. Semblables à ces soldats de Pilate qui s’agenouillaient devant le Christ et le saluaient roi d’Israël avant de le souffleter et de lui Cracher au visage, ou à ce Judas qui le trahit par un baiser.

Quoi qu’on puisse penser de Voltaire et de Rousseau, les voilà tous les deux, avec leur esprit et leur génie, si l’on veut, quoique en parlant d’eux le mot de génie soit bien contestable[1], mais avec leurs vices, les hontes de leur vie et le mal qu’ils ont fait, et c’est pourquoi je leur refuse absolument tout titre à l’amour et à l’admiration des hommes. Le génie, par lui-même, n’est digne ni d’admiration ni d’amour : comme la liberté, comme la raison, comme la vie, c’est une arme utile ou nuisible à soi-même et aux autres, selon l’usage qu’on en fait ; c’est le fer mis aux mains d’un habile soldat qui doit s’en servir pour défendre ses frères, mais qui peut s’en servir aussi pour leur percer le cœur. Or, c’est ce qu’ont fait Voltaire et Rousseau ; ils ne se sont servis de leur génie que pour attaquer tout ce qui a droit au respect et à la vénération des hommes ! Jésus-Christ, l’Église, l’autorité des princes et des lois, les bonnes mœurs et la pudeur même ! Ils ont ébranlé la société jusque dans ses fondements, et préparé les ruines qui les ont suivis de si près ; après eux et par leur faute, il s’est trouvé que la somme des vices, des larmes et des misères humaines s’était considérablement accrue, et que serait-ce,

  1. L’empereur Napoléon Ier disait qu’il fallait que leurs contemporains fussent des nains pour les avoir considérés comme des géants.