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celui qui arracha à saint Vincent de Paul, son contemporain et son ami, cette belle exclamation : « Oh ! mon Dieu, si monseigneur de Genève est si bon, qu’il faut donc que vous le soyez vous-même ! » Dieu mit aux portes de Genève ce flambeau lumineux et sans tache, dont l’éclat illumina l’Europe et qui dissipa dans des provinces entières les ténèbres de l’hérésie. Le monde le vit et s’éclaira à sa lumière. Genève, hélas ! ne le vit pas. Elle ne voulut pas le voir, elle s’arma contre cet homme divin de sa double muraille de pierre et d’obstination fanatique, et le saint évêque de Genève fut connu, aimé, vénéré partout, excepté à Genève.

Il n’y pénétra que bien rarement, par surprise, au péril de ses jours car on le redoutait comme le fléau de l’hérésie, comme le plus terrible ennemi de la Réforme, ennemi doux et pacifique, et d’autant plus puissant qu’il était plus pacifique et plus doux. Une fois entre autres, un grave intérêt religieux l’obligeant à traverser Genève pour gagner du temps, il s’y résolut en disant : Allons à la garde de Dieu, il fera de nous ce qu’il lui plaira. » Ceux de sa suite l’exhortaient au moins à se déguiser et à cacher son titre.

« Non, dit-il, il ne faut pas rougir de porter la livrée de Jésus-Christ, et le pasteur qui va chercher ses brebis ne doit pas se cacher à elles. »

Il se présenta donc hardiment à la porte de la ville en habit violet et suivi de douze hommes à cheval qui formaient sa suite.

L’officier de garde à cette porte ayant demandé à un de ses compagnons le nom du seigneur qu’ils escortaient, celui-ci répondit, sur l’ordre du saint :

« C’est l’évêque du diocèse. »

L’officier, ignorant ce que c’était qu’un diocèse, inscrivit sur son registre : « Aujourd’hui est passé l’évêque du