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libertins qu’ils avaient entendus ; les coupables étaient traduits devant le conseil et condamnés suivant la gravité du délit. Les jeux de cartes, de dés, de quilles, étaient prohibés ; on mettait au carcan les joueurs de profession. Enfin, tout, dans cette religion inaugurée au nom de la liberté, était réglementé jusqu’au moindre détail ; les sermons étaient fréquents, et il y fallait assister sous peine de punition corporelle ; on devait, sous peine d’admonestation d’abord, puis d’amende, y arriver avant le sermon commencé, et, pour finir par le comble du ridicule après le comble de l’odieux, trois enfants qui avaient quitté le prêche pour aller manger des gâteaux, furent fustigés publiquement[1].

Voilà ce qu’a fait Calvin dans Genève ! Voilà ce que les catholiques et les protestants oublient trop et ce qu’il est plus nécessaire que jamais de rappeler aux uns et aux autres, aujourd’hui surtout que l’orgueil des protestants et leur haine contre l’Église semblent montés à leur faîte, et qu’ils lui livrent, avec une ardeur sans pareille, cette guerre de petits pamphlets et de grosses calomnies, guerre incessante, acharnée, soutenue par des millions, qui fait du protestantisme, sans qu’il le veuille et sans qu’il le croie, l’allié le plus utile et le plus dangereux du socialisme en Europe.

J’ajouterai, pour en revenir à Genève, que cette ville, modèle reconnu et avoué de la Réforme, fut si fidèle à l’esprit de Calvin, que, pendant plus de deux cents ans, elle s’opposa, par tous les moyens possibles, à l’exercice du culte catholique, même dans des oratoires particuliers que les prêtres et les évêques n’y pouvaient pénétrer sans danger, et qu’en 1679, le ministre de France,

  1. Tous ces faits sont empruntés à l’Histoire de Calvin, par M. Audin, qui indique scrupuleusement les sources authentiques et originales où il les a puisés.