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fantastiques de cette inquisition espagnole dont Rome a toujours condamné les excès, et dont l’inquisition génevoise a, dans tous les cas, dépassé les rigueurs !

En vérité, on croit rêver quand on relit cette législation draconienne de Calvin, le second chef de la Réforme, l’apôtre de la liberté d’examen, établie à Genève partout : on y trouve la mort. Mort à tout criminel de lèse-majesté divine, c’est-à-dire quiconque n’accepte pas la profession de foi imposée par le réformateur ; mort aux idolâtres (c’est-à-dire aux catholiques sans doute) et aux blasphémateurs. Mort au fils qui frappe ou maudit son père. Mort aux hérétiques. Mort aussi à l’adultère, mais avec cette circonstance atténuante que le divorce, qui n’est autre chose que l’adultère légal, est permis, de sorte que les maris et les femmes, impatients du joug du mariage, affluaient à Genève pour s’en débarrasser. On fouettait les enfants en public pour avoir injurié leur mère, et, quand le pauvre enfant n’avait pas l’âge de raison, on le hissait à un poteau pour montrer qu’il avait mérité la mort.

Avant l’émancipation de la Réforme, les sorciers, à Genève, n’étaient punis que du bannissement. Calvin établit contre eux le supplice du feu, et, dans l’espace de soixante ans, d’après les registres de la ville, cent cinquante individus furent brûlés pour crime de magie.

On ne saurait s’imaginer jusqu’où s’étendait cette inquisition calvinienne. Elle désignait à l’heureux habitant de la libre Genève le nombre de ses plats, la forme de ses souliers, la coiffure de sa femme. On lit dans les registres de l’État, 13 février 1558 : « Trois compagnons tanneurs mis trois jours en prison et à l’eau, pour avoir mangé à déjeuner trois douzaines de pâtés, ce qui est une grande dissolution. »

La ville était peuplée d’espions qui allaient rapporter au consistoire les blasphèmes, les impiétés et les propos