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les solitudes où la prière veillait sous la garde de la mortification. Tout ce cœur, tout ce génie, toute cette éloquence, toute cette force d’âme, tous ces plans de réformation, ont abouti, non pas au déluge, mais au mariage universel !

« Le mot n’est pas de moi, messieurs, il est d’Érasme. Vous connaissez tous Érasme. C’était en ce temps-là le premier académicien du monde. À la veille des tempêtes qui devaient changer l’Europe et l’Église, il faisait de la prose avec l’élasticité la plus consommée. On se disputait dans l’univers un de ses billets. Les princes lui écrivaient avec orgueil. Mais, quand la foudre eut grondé, quand il fallut se dévouer à l’erreur ou à la vérité, donner à l’une ou à l’autre sa parole, sa gloire et son sang, ce bonhomme eut le courage de demeurer académicien, et s’éteignit dans Rotterdam au bout d’une phrase élégante encore, mais méprisée. Il vit avant de mourir les fruits de la Réforme, bien inattendus de lui, et se vengea d’elle par le mot qui vient de m’échapper[1]. »

Voilà pour les mœurs, telles que la Réforme les réforma et encore faudrait-il ajouter au mariage universel d’Érasme le divorce, qui détruit le mariage dans son principe, et même la polygamie, qui est autorisée explicitement et formellement par la fameuse consultation de Luther, Bucer et Mélanchton au landgrave Philippe de Hesse ! Les Mormons, quoi qu’on puisse dire, n’ont fait de nos jours qu’appliquer les principes posés il y a trois cents ans par les chefs mêmes et les fondateurs de la Réforme.

Genève n’échappa point à ce honteux stigmate que Dieu a imprimé dès le premier jour au front de la

  1. Conférences de Notre-Dame de Paris, par le P. Lacordaire, vingt-troisième conférence.