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V

genève. — milan. — le tyrol.


Au mois d’août 1846, je partis de Paris avec mon frère aîné pour un voyage qui devait durer six semaines ou deux mois. Un de nos amis nous avait promis de venir nous rejoindre quelques jours après : on nous avait dit que c’était la perfection de voyager à trois, et nous en fîmes la douce expérience : « Numero deus impare gaudet. »

Notre voyage, indépendamment des considérations habituelles de plaisir et de santé, avait un but religieux : c’était d’aller voir les stigmatisées du Tyrol. Nous avions souvent entendu parler de ces deux pauvres et saintes filles, perdues dans de lointaines montagnes, vivant d’une vie toute naturelle au milieu d’obscures et sauvages contrées, comme ces fleurs des Alpes qui croissent au fond des abîmes ou sur la pente escarpée des précipices et qui semblent ne s’épanouir et ne donner leur parfum que pour le ciel. Nous avions écouté les merveilleux récits que des prêtres, des savants, des hommes du monde, racontaient sur ces miracles vivants de la justice et de la bonté divine : nous avions lu les relations parfaitement concordantes entre elles qu’en avaient écrites à plu-