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Le cercueil fut déposé sous une espèce de hangar sur le quai de débarquement. La voiture qui devait le transporter à Bargemont s’étant trouvée trop petite, il fallut qu’on en allât chercher une autre. Plus de trois heures se passèrent dans cette attente ; Madame de Villeneuve resta tout ce temps à genoux près des restes de son fils, priant pour lui avec une grande abondance de consolations et de grâces. Les employés du port, les matelots et les soldats, en voyant cette femme en grand deuil, agenouillée près d’un cercueil, devinaient la funèbre histoire et la considéraient avec attendrissement. Ils se découvraient en passant près d’elle, et lui donnaient mille marques de sympathie et de respect. Il y eut un moment où on débarqua des chevaux qui se trouvaient sur le bâtiment : ces animaux s’agitaient et ruaient en touchant la terre ferme et, comme ils passaient nécessairement devant le cercueil d’Hélion de Villeneuve, la pauvre mère craignit qu’ils ne l’atteignissent de leurs ruades. Elle alla donc au poste qui se trouvait à côté, et dit aux soldats que le cercueil d’un de leurs camarades tué devant Sébastopol était sur le quai, exposé aux coups de pied des chevaux, et qu’elle leur demandait de venir le protéger. Aussitôt le chef du poste envoya un détachement de soldats qui firent la haie devant le cercueil, et qui protégèrent ainsi le fils et la mère tout le temps que dura le débarquement des chevaux.

Enfin, vers six heures du soir, une voiture des pompes funèbres arriva sur le port ; on y plaça le cercueil, et Madame de Villeneuve, ne voulant pas abandonner un seul instant les restes de son fils, y monta avec un de ses neveux. Son gendre et un autre parent, qui ne l’avaient pas quittée durant tout le cours de ce pénible voyage, suivaient dans une seconde voiture. Le funèbre cortège se mit en marche, et le lendemain, 24 octobre, à une heure