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tour à les consoler, les interrogea, leur demanda s’ils avaient connu son fils, et, quand ils répondaient affirmativement, elle payait par quelques secours, et surtout par ses remerciements, leurs paroles consolantes. Ces pauvres gens étaient profondément émus à la vue de cette mère de douleurs ; ils la saluaient, l’entouraient de soins et de prévenances, et lui témoignaient leurs sympathies par des paroles inhabiles et grossières peut-être, mais pleines de cœur et de vérité.

Vers deux heures de l’après-midi, le capitaine du bâtiment lui fit annoncer que le cercueil de son fils allait être débarqué. Elle s’approcha, respirant à peine, et vit bientôt ce cercueil bien-aimé, soulevé à l’aide de cordes, apparaître au-dessus du pont du navire, puis redescendre doucement vers elle et venir s’arrêter à ses pieds. Elle se mit à genoux et baisa pieusement et avec larmes ce bois qui renfermait les restes inanimés de son fils. Il semble que ce moment aurait dû être terrible pour la pauvre mère ; il fut, au contraire, plein de consolation et de douceur. Elle fut elle-même tout étonnée de sentir, au lieu d’une douleur désespérée, un calme incroyable et une paix vraiment surnaturelle se répandre dans son cœur et remplir toute son âme. Elle crut, et sans doute elle ne se trompait point, que c’était son fils bien-aimé qui lui envoyait cette grâce céleste du sein de Dieu, et qui lui donnait ainsi, du haut du ciel, un gage sensible de son salut et de son bonheur éternel. Il est certain que, contrairement à toutes les prévisions humaines, les heures qu’elle passa ainsi près du cercueil de son fils, ces heures si redoutées de ses amis, furent les plus douces qu’elle eût encore goûtées depuis son malheur, et qu’elle puisa dans le contact de ce cercueil, qui semblait devoir briser son cœur, une force et un courage tout nouveaux pour supporter sa douleur.