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sabots et des instrumenta aratoires, vaquant aux soins de la ferme, ou des religieux en robes de laine blanche, qui se dirigent vers la chapelle partout l’image de l’activité et de la vie. Certes, il y a loin de là à ces couleurs lugubres, à ces accents désespérés, dont les écrivains libres penseurs se servent invariablement pour décrire les monastères des trappistes ou des autres ordres religieux : si ce sont des tombeaux, comme ils le disent, il faut avouer au moins que ce sont des tombeaux bien vivants.

Après avoir traversé les cours et les jardins, on arrive au corps principal du monastère. Si l’on désire voir le père abbé, il suffit de le faire prévenir : à moins d’empêchement absolu, il se rend à l’instant même au parloir, où l’attend le visiteur. Près de la porte de ce parloir est suspendu un vieux tableau qui représente une histoire bien plus vieille encore, l’entrevue de saint Antoine et de saint Paul ermite au désert : alors saint Antoine était nonagénaire, et saint Paul centenaire. Rien n’est plus touchant que cette admirable histoire des fondateurs de la vie monastique, racontée par le grand saint Athanase, évêque d’Alexandrie, contemporain et ami de saint Antoine. Elle est si belle, si pleine de grandeur et de charme, et trouve si naturellement sa place à l’entrée de ce récit, que je ne résiste pas au désir de la rappeler.

Saint Antoine était alors âgé de quatre-vingt-dix ans, et il en avait passé soixante-douze au désert, quand Dieu lui révéla dans une vision qu’il y avait un autre solitaire plus parfait que lui qu’il devait aller voir. Il partit aussitôt, son bâton de voyage à la main, sans savoir où il allait, mais confiant dans le Seigneur, qui savait le chemin pour lui. Après trois jours de marche, il arriva de grand matin à la grotte où saint Paul ermite, le premier retiré depuis quatre-vingt-dix ans, alors que saint Antoine venait au monde.