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ser qu’elle pourrait voir, toucher de ses mains, presser sur ses lèvres et mouiller de ses larmes ce bois insensible qui renfermait les restes, aussi insensibles, hélas ! de son enfant. Cette pensée devint dès lors sa préoccupation constante, et elle mit toute son activité à préparer à ce cher défunt des funérailles dignes de lui dans la vieille terre patrimoniale de Bargemont. Un prêtre courageux et dévoué voulut bien accepter la mission pénible, périlleuse même, et qui faillit lui coûter la vie, d’aller chercher en Crimée le cercueil d’Hélion de Villeneuve et de le ramener à Marseille. Il s’embarqua vers la fin de septembre, et arriva à Kamiesch le 4 octobre.

Il lui fallut du temps pour faire toutes les démarches et obtenir les permissions nécessaires, et ce ne fut que le 12 octobre qu’on put procéder à l’exhumation. Il était impossible de se tromper sur l’identité du cercueil, car le cimetière du deuxième corps, comme les autres cimetières français de Crimée, était tenu avec un soin remarquable, et ressemblait, par son aspect, à tous les cimetières de France. Comme l’espace ne manquait pas, les cercueils étaient suffisamment distants les uns des autres, surmontés de tertre en terre recouverts d’herbe, et, sur la plupart, des plaques de pierre taillées par les soldats du génie, ou des croix de bois noir, indiquaient par leurs inscriptions les nom, âge et grade du défunt. Le cercueil d’Hélion de Villeneuve était surmonté d’une de ses croix, et l’aumônier la reconnut parfaitement. De plus, un registre tenu avec une grande régularité indiquait le jour précis de chaque décès et de chaque enterrement, et désignait la place de chaque cercueil par l’indication de ses deux camarades de lit dans ce funeste dortoir de la mort.

Enfin, chose singulière, le digne prêtre retrouva les soldats fossoyeurs qui avaient creusé la tombe d’Hélion