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grand recueillement. Grâce aux illustres amitiés du défunt, son corps, eut le privilège (véritable privilège même pour les officiers) d’un cercueil fabriqué avec des caisses à biscuit. Il fut enseveli dans le cimetière du deuxième corps, où les tombes étaient déjà bien nombreuses, et le jour même, sous la tente qui tenait lieu de chapelle, en face de la colline où dormait sa dépouille mortelle, le prêtre de Jésus-Christ offrit le saint sacrifice de la messe pour le repos de son âme. Avant de livrer le cercueil à la terre, l’aumônier avait eu soin de le faire marquer d’un signe particulier, afin qu’on pût facilement le reconnaître si jamais on voulait le faire exhumer, et ramener en France les restes du noble soldat qu’il renfermait.

C’est ainsi que mourut Hélion de Villeneuve-Trans, enseveli à vingt-neuf ans dans la fleur de son âge, de son triomphe et de son dévouement. C’est ainsi que s’accomplit le sacrifice de la mère et du fils et que s’accomplirent aussi leurs immortelles espérances ; et c’est ainsi que Dieu répondit aux prières mystérieuses de l’enfant, qui avait demandé de mourir avant sa mère, et aux prières de la mère, qui avait demandé avant tout et par-dessus tout le salut de l’âme de son fils.

Plusieurs, en voyant la fin si brusque et si douloureuse d’une si belle vie, et de tels dévouements suivis d’une telle récompense, s’étonneront peut-être et seront tentés de murmurer contre la Providence. Mais à ceux-là je répondrai d’abord que, si quelqu’un est à plaindre, même humainement parlant, ce n’est pas Hélion de Villeneuve, car il est mort à vingt-neuf ans, après une existence aussi heureuse que possible, après vingt-neuf années que je puis appeler, presque sans exagération, vingt-neuf années de bonheur. Il est mort avant l’âge ordinaire des déceptions et des malheurs, emportant dans