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le lendemain de la mort de Villeneuve ; on y retrouve, avec toute l’énergie militaire, l’émotion sincère et contenue, et le cœur d’un vrai soldat :


« Mon cher colonel,


« En vous écrivant ce matin la grave blessure du jeune Villeneuve, j’avais un peu d’espoir et je voulais vous le faire partager.

« Malheureusement, je ne puis vous continuer les mêmes espérances. Mon aide de camp arrive de l’ambulance du deuxième corps et m’apporte la triste nouvelle que votre protégé est mort cette nuit à une heure. J’en suis profondément affligé : j’avais connu M. de Villeneuve dans les salons, et je l’avais aimé ici, j’avais reconnu qu’il avait des qualités plus sérieuses que celles qui m’avaient séduit, et je l’avais estimé.

« Vous ne pouvez vous faire une idée de l’énergie de ce brave garçon. Quand je lui avais offert de quitter la cavalerie pour prendre cette rude vie de zouaves, il avait accepté avec une reconnaissance touchante. Il ne demandait que des occasions de se signaler, et il avait le noble orgueil de vouloir envoyer de ses nouvelles à ses amis de France par nos bulletins. Il ne cherchait pas la mort, mais il courait après le danger avec amour. Il me disait il y a huit jours : « Je suis si heureux à la tranchée ! on ne tire pas une seule balle que je ne sois là ! »

« La mort lui devait de l’épargner un peu plus longtemps. Vingt-quatre heures plus tard il aurait eu la croix, objet de son ambition, que Vinoy avait demandée pour lui.

« Je crois qu’il aurait fait honneur à son nom et que c’est une perte pour l’armée.