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mon excellente mère, je suis aussi heureux que possible, je me porte à merveille et n’ai qu’un regret, c’est de voir que la guerre finisse sans que j’aie eu l’occasion de voir la moindre bataille… »

Et le 10 juillet :

« Ta dernière lettre était triste, ma bonne mère, et m’a fait de la peine ; je voudrais que tu visses comment je suis ici ; je t’assure qu’alors tu n’aurais pas de chagrins. Cette vie me fait un bien incroyable ; je mange n’importe quoi avec le même appétit ; je dors par terre mieux que sur mon lit, et je n’ai plus de fatigue ni de courbature comme la moindre chose m’en donnait à Paris enfin, tu ne me reconnaîtrais pas !… On doit me présenter aujourd’hui au général Bosquet… En ce moment, il est six heures du matin, nous avons déjà fait la manœuvre ; le soleil est magnifique et la plaine où nous sommes fait un bien bel effet. Si seulement tu pouvais me voir, ma bonne mère, tu ne serais plus inquiète ; au contraire, tu serais contente de me voir si heureux… »

Ce fut peu de temps après avoir écrit cette lettre qu’Hélion de Villeneuve fut nommé sous-officier, adjudant de tranchée, et chargé, en cette qualité, d’une des fonctions les plus périlleuses du siège. Sans cesse dans la tranchée, il fut désormais exposé continuellement au feu des Russes ; il se trouva au premier rang, au poste qu’il avait le plus ambitionné, au plus dangereux, et c’est alors que son âme guerrière se manifesta dans toute son énergie. Au milieu des balles et de la mitraille son front rayonnait, son cœur était inondé de joie : « Que je suis heureux à la tranchée, disait-il au brave général qui avait facilité son entrée dans les zouaves : il ne se tire pas une seule balle que je ne sois là ! »

Les soldats, même les plus intrépides, qui vont au feu pour la première fois, baissent involontairement la tête