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et décidez-vous. — Vous concevez que la réflexion n’a pas duré longtemps. J’ai accepté tout de suite, à condition que personne n’en saurait rien en France, parce que cela inquiéterait davantage ma bonne mère. Il est donc convenu que mes lettres me seront toujours adressées au 1er chasseurs et de là me seront renvoyées au 3e zouaves. Du reste, les deux régiments sont voisins en ce moment ; mon régiment ne va pas au siège, je ne sais pourquoi. Me voilà donc habillé en Turc avec deux beaux galons rouges ! Vous ne me reconnaîtriez pas avec la tête rasée et un turban. J’ai bien fait, n’est-ce pas ? J’aurais bien voulu vous consulter avant, mais c’était impossible. Matériellement, je suis beaucoup mieux, je travaille comme adjudant au fourrier ; je couche avec ce même fourrier, qui est fort propre et bien plus agréable dans l’intimité que les six chasseurs avec lesquels je cohabitais : je mange avec les sous-officiers. Je regrette seulement de ne pouvoir dire à ma mère que je suis caporal, je me borne à lui dire que je suis beaucoup mieux : le 3e zouaves fait partie du deuxième corps, général Bosquet… »

Le jour même où il écrivait cette lettre au général Montebello, il écrivait à sa mère :

« J’ai reçu tes deux bonnes lettres, mon excellente mère, et je t’en remercie de tout mon cœur : après ce que tu m’as laissé faire, le plus grand bonheur que tu puisses me donner est de te bien soigner et de me le dire souvent… Depuis ma dernière lettre, je suis beaucoup mieux matériellement ; je travaille avec le fourrier, ce qui fait qu’aujourd’hui je t’écris sur une table, que, du reste, j’ai fabriquée moi-même, au grand étonnement de mes chefs, qui ne me croyaient que des aptitudes diplomatiques. Je mange avec les sous-officiers… C’est incroyable comme on devient gourmand ! Il y a des jours où je ferais des bassesses pour avoir un peu de pommes