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comme je suis content. Mon Dieu ! que tout ceci est beau et intéressant Sauf une bataille que je ne verrai probablement pas, car nous sommes ici trop loin de l’endroit où l’on se bat, à quatre lieues au moins de Sébastopol, j’ai vu tout et passé partout. J’ai débarqué avant-hier : alors a commencé un peu de misères ; j’ai pris mes bagages sur mon dos et me suis dirigé pédestrement vers mon camp, qui est à six lieues de Kamiesch. Il faisait chaud, et j’avoue que je trouvais la route longue, lorsque, près d’arriver, j’ai rencontré l’officier d’artillerie auquel tu sais que j’apportais de l’argent. Il a été parfait pour moi, m’a fait entrer dans sa tente, où il m’a donné une soupe à l’oignon que je me rappellerai longtemps : je ne crois pas de ma vie avoir rien mangé de meilleur ; puis il m’a prêté un cheval, sur lequel j’ai fait une entrée triomphale au camp.

« Mes lettres ont fait merveille : le colonel m’a fait donner de suite armes et cheval, et m’a mis dans le troisième escadron. Je mène une vie charmante : le général Forey m’a invité à dîner ; aujourd’hui c’est un commandant ; enfin, c’est à qui me fera amitié.

« Je suis dans une petite tente où l’on ne peut entrer qu’à quatre pattes, mais où j’ai dormi supérieurement entre les deux camarades auxquels je suis associé. Ils ont de bonnes figures tous les deux, et on ne serait pas aise de les rencontrer le soir ; mais ils sont fort bons diables et se réjouissent fort de mon arrivée, qui va améliorer leur ordinaire. Nous avons d’excellentes couvertures dans lesquelles on dort très bien et à l’abri de tout, je t’assure. Tu rirais bien en me voyant couché entre ces deux gaillards-là.

« Nous faisons nous-mêmes notre cuisine, et à la cantine on trouve tout ce que l’on veut. Seulement c’est diablement gênant d’écrire ; je le fais à plat ventre, et ce