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La traversée fut belle et pleine d’intérêt. C’est par des extraits de ses lettres à sa mère que je raconterai désormais ses impressions et sa vie depuis le moment où il s’embarqua jusqu’à celui où d’autres, hélas ! durent écrire à sa place. C’est une correspondance simple, aimable, pleine de gaieté de cœur, qui le peindra au naturel mieux que tout ce que je pourrais dire.

— « Nous voici à Messine, mon excellente mère, écrivait-il le 7 juin, avec un temps superbe et la meilleure traversée du monde. Je n’ai pas été malade un seul instant : tu juges si je me trouve bien, moi qui aime tant la mer ! Nous avons à bord vingt sœurs de Saint-Vincent-de-Paul et un bon père Lazariste, tous allant à Constantinople. Il y a beaucoup de soldats, et c’est vraiment touchant de voir comme les sœurs sont bonnes avec eux : le soir elles chantent leurs prières sur le pont… Je me porte mieux que jamais, tous les officiers que je rencontre sont charmants pour moi ; tout s’annonce à merveille, et, si je ne te savais inquiète, je serais parfaitement heureux. Soigne-toi donc bien et tourmente-toi le moins possible.

Le 13 juin, il écrit de Constantinople, toujours joyeux et plein d’espérance :

« Je n’ai qu’une minute à moi, mon excellente mère ; je suis arrivé hier soir et pars dans un moment pour Kamiesch : il m’a fallu courir tout ce temps-là. Je vais on ne peut mieux, il fait superbe, je t’aime et t’embrasse de toute mon âme. »

Le 17, il posa le pied sur cette terre de Crimée qu’il ne devait plus quitter vivant. La lettre par laquelle il annonce à sa mère son arrivée est pleine de joie et d’ardeur c’est une vraie prise de possession.

« Enfin, ma bonne mère, écrit-t-il, me voici arrivé au comble de mes désirs ; et tu serais heureuse si tu voyais