mière fois un pressentiment de la fin qui l’attendait en Crimée. – « C’est un rude moment, écrivait-il de Marseille, que celui où l’on quitte tous ceux que l’on aime, sans savoir si l’on reviendra jamais ! On peut me dire avec raison que rien ne m’y forçait et que j’aurais tort de me plaindre ; aussi je ne me plains pas ; seulement je dis que c’est dur. »
– « J’avais le cœur bien gros, écrivait-il encore, mon excellente mère, en partant l’autre soir. Jamais je ne pourrai te remercier assez du courage que tu as eu. Si tu n’en avais pas montré, je n’aurais pu en avoir moi-même, et j’aurais été au désespoir. Cependant il faut se dominer, car tout ne sera pas rose pour moi ; mais avec le cœur tranquille, on a de l’énergie. Sois tranquille sur tout ce que tu m’as recommandé ; je n’oublierai rien et suis trop reconnaissant de ce que tu as fait pour ne pas faire moi-même tout ce que tu veux. Je ne puis pas te dire que je t’aimerai davantage pour ce que tu viens de faire, c’est impossible mais je t’en remercie de toute mon âme… »
Cependant les préparatifs du départ, la vue des troupes qui s’embarquaient, des soldats et des officiers qui revenaient en convalescence, tout ce mouvement et ce travail d’un grand port de mer dissipèrent peu à peu ses idées noires, qui firent place à des pensées plus riantes. La tristesse, d’ailleurs, était si incompatible avec son heureux caractère, qu’elle ne pouvait séjourner longtemps dans son âme. Il s’embarqua le lundi 4 juin, et, après avoir jeté un dernier regard sur la terre de France, un dernier baiser du cœur à sa mère et à sa famille, il se tourna tout entier du côté de l’Orient et fixa ses yeux avec une ardeur impatiente sur cet avenir de campagnes et de guerres si longtemps caressé comme un rêve et qui allait se changer pour lui en réalité.