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lui promit d’être toujours fidèle à la foi divine qui lui dictait son sacrifice, d’aimer son âme comme elle l’aimait, de combattre, de vivre, et, s’il le fallait, de mourir en chrétien.

Ce moment solennel décida de la destinée d’Hélion de Villeneuve et si, par un dessein mystérieux de la Providence, il abrégea son avenir en ce monde, il assura son avenir éternel. La mère et le fils accomplirent ce jour-là un double sacrifice, digne de la mémoire des hommes et des anges ; l’un immolant sa tendresse filiale à l’honneur et au devoir, l’autre immolant son propre bonheur et sacrifiant même en idée la vie terrestre de son fils au salut de son âme immortelle. On ne peut imaginer un oubli plus grand de soi-même, une absence plus complète de cet égoïsme qui est au fond de presque tous les amours, un plus absolu dévouement et, si quelque mère moins chrétienne et moins forte était tentée de trouver le sacrifice excessif et s’en effrayait dans son cœur, je lui dirais, pour lui faire tout comprendre, de méditer le sacrifice de la sainte vierge Marie, la plus tendre et la plus sainte des mères, se tenant debout au pied de la croix, et regardant mourir Jésus-Christ, son fils et son Dieu. C’est là, c’est au Calvaire, que se trouve la source intarissable, infinie, de tous les dévouements, de tous les sacrifices, de tous les héroïsmes. C’est là que les chrétiens puisent la force de se sacrifier, comme Jésus-Christ et comme Marie, au delà des limites mêmes de la nature.

C’était au mois de mars 1835 ; le siège de Sébastopol se prolongeait au delà de toutes les prévisions, et l’expédition de Crimée prenait des proportions chaque jour plus considérables. De nouveaux régiments partaient incessamment de Marseille et de Toulon pour Constantinople. L’empereur, qui avait conçu le plan de cette expédition et qui avait assigné la Crimée pour l’unique champ de