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Villeneuve ne le quitta pas une minute, le veillant, le soignant avec la tendresse d’un fils et le dévouement ingénieux d’une sœur de Charité, portant lui-même d’un lit dans un autre celui qui l’avait porté enfant entre ses bras, et recueillant comme un héritage sacré les paroles suprêmes du mourant. C’est un grand bonheur pour un fils de pouvoir penser, non seulement sans rougir, mais avec un noble orgueil à la vie et à la mort de son père, et de pouvoir se dire avec certitude qu’après une existence honorée des hommes son âme repose heureuse et bénie dans le sein de Dieu.

Après avoir reçu une dernière fois, en présence de sa famille, les sacrements de l’Église avec un grand recueillement, le marquis de Villeneuve-Trans parla à son fils de la vie qu’il devait mener, de l’honneur de son nom, qu’il lui laissait pur et sans tache ; il lui recommanda d’avoir toujours présent à la pensée le souvenir de ses ancêtres, grands par la foi et par leur dévouement chevaleresque à la France, de toujours porter dignement un nom illustré par tant de générations ; puis il s’endormit doucement dans les bras de ce cher fils et dans la paix du Seigneur.

Hélion de Villeneuve lui rendit les derniers devoirs de la piété filiale avec une grande tendresse et une grande affliction ; il le conduisit en Provence, à Bargemont, et déposa son cercueil dans le caveau de famille, où lui-même, hélas ! devait venir le rejoindre bientôt.

Tel fut le plus grand chagrin d’Hélion de Villeneuve, le seul peut-être qui ait assombri son heureuse existence jusqu’au jour de son adieu suprême à sa mère et du grand déchirement de la mort. Cet événement fit sur lui une salutaire impression, et le ramena aux pratiques et aux pensées religieuses qui avaient un moment sommeillé au fond de son cœur.