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notre première nuit militaire au ministère de l’intérieur. Triste nuit, et bien digne de la journée qu’elle suivait ! À chaque instant des coups de fusil, des prises d’armes, l’éternel et ignoble défilé des vainqueurs de l’École militaire qui passaient chargés d’armes, affublés grotesquement d’uniformes de soldats en lambeaux, poussant des cris où l’ivresse du triomphe se mêlait à celle de l’eau-de-vie.

Je ne dirai rien des jours qui suivirent et qui ne se ressemblèrent que trop, si ce n’est qu’Hélion de Villeneuve se donna tout entier à cette vie d’alerte et d’agitation avec une joie telle, qu’elle étouffait presque en son âme le chagrin des hontes et des malheurs de la patrie. Dans cette joie, dans cet entrain, dans toute son attitude, sa vocation véritable, la vocation militaire se révélait déjà avec une entière évidence ; lui-même ne s’y trompa point, et tout d’abord il écrivit à sa mère qu’il avait toujours eu le désir de se faire soldat, et que, si la guerre éclatait, il lui serait impossible de ne pas s’engager. Aux premières élections de la garde nationale, il fut nommé sous-lieutenant dans sa compagnie à la presque unanimité, et il prit part, en cette qualité, à toutes les manifestations imposantes qui firent un instant de la garde nationale une sauvegarde pour la société et une véritable armée pour la cause de l’ordre. Toujours le premier debout au son du rappel, il assista à toutes les émeutes, depuis celle du 15 mai jusqu’aux sanglantes journées de juin ; c’est ainsi qu’il préludait aux grandes luttes de Sébastopol.

Ses parents, effrayés de le savoir à Paris, exposé à tons les dangers que la garde nationale avait alors à courir, désiraient vivement en leur cœur qu’il abandonnât momentanément ses études de droit et qu’il revînt près d’eux à Nancy. Néanmoins, connaissant leur fils, ils hésitaient à lui demander ce sacrifice. Hélion de Villeneuve, ayant