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c’était aimer Dieu, ses parents, ses amis c’était faire son devoir partout et toujours, et le faire sans effort, sans peine, par le seul penchant d’une bonne nature et d’une forte grâce.

C’est une belle chose, aussi belle que rare et bien digne d’admiration et d’amour, que l’âme humaine dans cet état de repos et de joie méritée. Aussi Hélion de Villeneuve fut-il beaucoup aimé : presque tous ceux qui l’approchaient subissaient le charme de sa bonne et grande nature, et, selon l’âge et la position des personnes qui le connaissaient, il inspirait à toutes l’estime, la bienveillance ou la plus sincère affection.

Le seul défaut qu’il eût alors était une trop grande facilité de liaison ; encore ce défaut, qui plus tard lui devint funeste, n’était-il que l’exagération d’une bonne qualité. Parfaitement incapable du mal, il se refusait à le voir et surtout à le soupçonner chez les autres. Il allait à tout le monde avec un excès de confiance qui indiquait une grande pureté d’intention et une extrême bienveillance d’esprit, mais qui pouvait et devait tôt ou tard l’exposer à des pièges et à des déceptions. Sans prodiguer l’amitié, il prodiguait la familiarité, et il étendait outre mesure le cercle de son intimité. Il était trop facile avec les choses comme avec les hommes, et il ne tarda pas à abuser un peu des plaisirs légitimes de la jeunesse, oubliant que ces plaisirs cessent d’être légitimes le jour où, par l’abus qu’on en fait, ils commencent à devenir dangereux.

Néanmoins, et malgré cette ombre légère, Hélion de Villeneuve conserva, pendant les premières années de son séjour à Paris, toutes les habitudes, toutes les vertus, tous les charmes de son enfance, et la révolution de février 1848 le trouva encore très pur, très bon et très pieux.