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laquelle j’espère plus qu’en toute autre chose, je ne te quitterai jamais, ni toi, ni mon père. »

Je dois rapporter ici une circonstance particulièrement touchante et qui prouve à quel point cet aimable enfant craignait, en effet, d’être privé de sa mère. Chaque soir, il obligeait sa mère à demander à Dieu qu’il le fît mourir avant elle ; il ne voulait pas s’endormir avant qu’il l’eût entendue faire cette étrange prière à haute voix auprès de son lit. Prenant cette demande pour un caprice d’enfant, la pauvre mère y accédait en souriant : hélas ! ce qu’elle croyait être un caprice était peut-être un pressentiment, et la prière qu’elle faisait avec un sourire devait s’accomplir dans les larmes.

À cette tendresse, qui est au fond de toutes les âmes vraiment grandes, Hélion de Villeneuve joignit dès son enfance une énergie morale extraordinaire. Il fut toujours plein de courage, méprisant la souffrance, amoureux du danger, ignorant toute recherche de lui-même, bravant toutes les intempéries des saisons, en un mot, aussi dur de corps qu’il était tendre de cœur. Il dut à cette éducation austère une vigueur physique peu commune, et il arriva à l’âge d’homme avec un corps aussi fortement trempé que son âme.

Telle fut l’enfance d’Hélion de Villeneuve, enfance vraiment extraordinaire, où l’on voit la bonté native, une forte éducation et la grâce divine s’unir et se fondre merveilleusement pour produire une physionomie vraiment unique d’énergie, de douceur et de charme. Ces premières années de vertu, de tendresse, de foi profonde, furent le commencement et la préparation de sa vie ; et, à voir la solidité des assises, on pouvait juger dès lors que l’édifice ne manquerait ni de grandeur ni de beauté.

Comme un sol généreux et fortement travaillé par la charrue est prêt à produire avec abondance tous les fruits