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un air de gaieté que démentait sa pâleur, et lui dit tout d’abord : « Ce n’est pas la faute de ma sœur ! » Puis il lui raconta l’accident, ôta son gant et lui montra sa main une partie de l’ongle et de la première phalange du doigt était complètement détachée ! La pauvre mère recueillit comme une relique ce petit morceau de la chair de son fils et le conserva précieusement ; véritable relique, en effet, car c’est tout ce qui lui reste aujourd’hui de sa dépouille matérielle.

Avais-je tort de dire que l’enfance d’Hélion de Villeneuve contenait en germe le héros de Sébastopol ? Et ne reconnaît-on pas dans ce noble enfant, qui cache sa douleur sous un sourire, l’admirable jeune homme qui, mortellement blessé, écrit à sa mère, pour la rassurer, une lettre héroïque, soutenu par un dernier effort de gaieté vraiment sublime ? Les circonstances sont différentes, la scène et l’âge ont changé ; l’âme est toujours la même.

Les suites de cet accident furent longues et douloureuses : l’enfant supporta les souffrances du pansement avec un courage incroyable. Dans un petit journal où il avait, dès cet âge, l’habitude d’écrire chaque soir ses impressions quotidiennes, je lis ces paroles touchantes :

« Aujourd’hui la journée s’est passée comme la veille j’ai autant souffert et ne me suis pas plaint : j’ai offert mes maux à Dieu. »

Et plus loin : « Ce matin, j’avais envie de me plaindre pendant le pansement mais, en offrant ses douleurs à Dieu, on les diminue de moitié, et l’on rougirait de se plaindre en pensant que les saints ont souffert. »

Dans une cruelle maladie qu’il fit à peu près à la même époque et qui le retint trois mois cloué sur son lit, il montra le même courage et les mêmes sentiments de résignation chrétienne. Il passait ses journées entières les