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— C’est bien, reprit le maire. Tout est-il prêt ? Un, deux, trois ! Partez ! »

Les garçons qui tenaient les ânes lâchèrent chacun le sien en lui donnant un grand coup de fouet. Tous partirent. Bien que personne ne m’eût retenu, j’attendis honnêtement mon tour pour me mettre à courir. Tous avaient donc un peu d’avance sur moi. Mais ils n’avaient pas fait cent pas que je les avais rattrapés. Me voici à la tête de la bande, les devançant sans me donner beaucoup de mal. Les garçons criaient, faisaient claquer leurs fouets pour exciter leurs ânes. Je me retournais de temps en temps pour voir leurs mines effarées, pour contempler mon triomphe et pour rire de leurs efforts. Mes camarades, furieux d’être distancés par moi, pauvre inconnu à mine piteuse, redoublèrent d’efforts pour me joindre, me devancer et se barrer le passage les uns aux autres ; j’entendais derrière moi des cris sauvages, des ruades, des coups de dents ; deux fois je fus atteint, presque dépassé par l’âne de Jeannot. J’aurais dû me servir des mêmes moyens qu’il avait employés pour devancer mes camarades, mais je dédaignais ces indignes manœuvres ; je vis pourtant qu’il me fallait ne rien négliger pour ne pas être battu. D’un élan vigoureux, je dépassai mon rival ; au moment même il me saisit par la queue ; la douleur manqua me faire tomber, mais l’honneur de vaincre me donna le courage de m’arracher à sa dent, en y laissant un morceau