Page:Ségur - Mémoires d’un âne.djvu/85

Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Voyons, me dis-je, essayons ; si je perds, je n’y perdrai rien ; si je gagne, je ferai gagner une montre à la mère Tranchet, qui en a bonne envie. »

Je partis au petit trot, et j’allai me placer à côté du dernier âne ; je pris un air et je me mis à braire avec vigueur.

« Holà, holà ! l’ami, s’écria André, vas-tu finir ta musique ? Décampe, bourri, tu n’as pas de maître, tu es trop mal peigné, tu ne peux pas courir. »

Je me tus, mais je ne bougeai pas de ma place. Les uns riaient, les autres se fâchaient ; on commençait à se quereller lorsque la mère Tranchet s’écria :

« S’il n’a pas de maître, il va avoir une maîtresse ; je le reconnais maintenant. C’est Cadichon, l’âne de c’te pauvre mam’selle Pauline ; ils l’ont chassé quand la petite ne s’est plus trouvée là pour le protéger, et je crois bien qu’il a vécu tout l’hiver dans la forêt, car personne ne l’a revu depuis. Je le prends donc aujourd’hui à mon service ; il va courir pour moi.

— Tiens, c’est Cadichon ! s’écria-t-on de tous côtés, j’en ai entendu parler de ce fameux Cadichon.

Jeannot.

Mais, si vous faites courir pour vous, mère Tranchet, il faut tout de même déposer dans le sac du maire une pièce blanche de cinquante centimes.

Mère Tranchet.

Qu’à cela ne tienne, mes enfants. Voici ma pièce,