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« Attrape-le, Garde à vous, hardi, hardi ! descends dans le fossé, mords-lui les jarrets, amène-le ! bravo ! mon chien ; attrape, attrape, Garde à vous ! »

Garde à vous s’était en effet élancé dans le trou, il me mordait les jarrets, le ventre ; il m’aurait dévoré si je ne m’étais décidé à sauter hors du fossé ; j’allais courir vers la haie et chercher à m’y frayer un passage, quand le fermier, qui m’attendait, me lança un nœud coulant et m’arrêta tout court. Il s’était armé d’un fouet, qu’il me fit rudement sentir ; le chien continuait à me mordre, le maître me battait ; je me repentais amèrement de ma paresse. Enfin le fermier renvoya Garde à vous, cessa de me battre, détacha le nœud coulant, me passa un licou, et m’emmena tout penaud et tout meurtri pour m’atteler à la charrette qui m’attendait.

Je sus depuis qu’un des enfants était resté sur la route, près de la barrière, pour m’ouvrir si je revenais ; il m’avait aperçu sortant du fossé, et il l’avait dit à son père. Le petit traître !

Je lui en voulus de ce que j’appelais une méchanceté, jusqu’à ce que mes malheurs et mon expérience m’eussent rendu meilleur.

Depuis ce jour on fut bien plus sévère pour moi ; on voulut m’enfermer, mais j’avais trouvé moyen d’ouvrir toutes les barrières avec mes dents ; si c’était un loquet, je le levais ; si c’était un bouton, je le tournais ; si c’était un verrou, je le poussais. J’entrais partout, je sortais de partout.