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Et me voilà reparti au galop, courant vers le pont, à la grande satisfaction d’Ernest et aux cris de joie des enfants.

Je galope jusqu’au pont ; arrivé là, je m’arrête brusquement comme si j’avais peur. Ernest, étonné, me presse de continuer : je recule d’un air de frayeur, qui surprend plus encore Ernest. L’imbécile ne voyait rien ; la planche pourrie était pourtant bien visible. Les autres avaient rejoint, et regardaient en riant les efforts d’Ernest pour me faire passer et les miens pour ne pas passer. Ils finissent par descendre de leurs ânes ; chacun me pousse, me bat sans pitié ; je ne bouge pas.

« Tirez-le par la queue ! s’écrie Charles. Les ânes sont si entêtés, que lorsqu’on veut les faire reculer, ils avancent. »

Les voilà qui veulent me saisir la queue. Je me défends en ruant ; ils me battent tous ensemble : je n’en bouge pas davantage.

« Attends, Ernest, dit Charles ; je passerai le premier, ton âne me suivra certainement. »

Il veut avancer, je me mets en travers du pont ; il me fait reculer à force de coups.

« Au fait, me dis-je, si ce méchant garçon veut se noyer, qu’il se noie, j’ai fait ce que j’ai pu pour le sauver ; qu’il boive un coup, puisqu’il le veut absolument. »

À peine son âne met-il le pied sur la planche pourrie, qu’elle casse, et voilà Charles et son âne à l’eau. Pour mon camarade, il n’y avait pas de