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« Ah ! que je voudrais qu’il n’eût pas de maître et qu’il restât chez nous ! »

Le lendemain Georget me mit un licou après m’avoir fait déjeuner. Il m’amena devant la porte, la grand’mère me mit sur le dos un bât très léger, et s’assit dessus. Georget lui apporta un petit panier de légumes, qu’elle mit sur ses genoux, et nous partîmes pour le marché de Mamers. La bonne femme vendit bien ses légumes, personne ne me reconnut et je revins avec mes nouveaux maîtres.

Je vécus chez eux pendant quatre ans ; j’étais heureux ; je ne faisais de mal à personne ; je faisais bien mon service ; j’aimais mon petit maître, qui ne me battait jamais ; on ne me fatiguait pas trop ; on me nourrissait assez bien. D’ailleurs, je ne suis pas gourmand. L’été, des épluchures de légumes, des herbes dont ne veulent pas les chevaux ni les vaches ; l’hiver, du foin et des pelures de pommes de terre, de carottes, de navets : voilà ce qui nous suffit à nous autres ânes.

Il y avait pourtant des journées que je n’aimais pas ; c’étaient celles où ma maîtresse me louait à des enfants du voisinage. Elle n’était pas riche, et, les jours où je n’avais pas à travailler, elle était bien aise de gagner quelque chose en me louant aux enfants du château voisin. Ils n’étaient pas toujours bons.

Voici ce qui m’arriva un jour dans une de ces promenades.