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lèrent en un clin d’œil, puis un bon bouilli aux choux, qui disparut également, enfin une salade et du fromage, qu’ils savourèrent avec moins d’avidité, leur faim se trouvant apaisée.

On me donna une botte de foin, j’en mangeai à peine ; j’avais le cœur gros, et je n’avais pas faim.

L’aubergiste alla convoquer tout le village pour me voir saluer ; la cour se remplit de monde, et j’entrai dans le cercle, où m’amena mon nouveau maître, qui se trouvait fort embarrassé, ne sachant pas ce que je savais faire, et si j’avais reçu une éducation d’âne savant. À tout hasard, il me dit :

« Saluez la société. »

Je saluai à droite, à gauche, en avant, en arrière, et tout le monde d’applaudir.

« Que vas-tu lui faire faire ? dit tout bas sa femme ; il ne saura pas ce que tu lui veux.

— Peut-être l’aura-t-il appris. Les ânes savants sont intelligents ; je vais toujours essayer.

— Allons, Mirliflore (ce nom me fit soupirer), va embrasser la plus jolie dame de la société. »

Je regardai à droite, à gauche ; j’aperçus la fille de l’aubergiste, jolie brune de quinze à seize ans qui se tenait derrière tout le monde. J’allai à elle, j’écartai avec ma tête ceux qui gênaient le passage, et je posai mon nez sur le front de la petite, qui se mit à rire et qui parut contente.

« Dites donc, père Hutfer, vous lui avez fait la leçon, pas vrai ? dirent quelques personnes en riant.