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Après vous avoir perdue, j’avais trouvé d’autres maîtres qui étaient bons comme vous, qui m’ont traité avec amitié. J’étais heureux. Mais tout est changé : mon mauvais caractère, le désir de faire briller mon esprit, de satisfaire mes vengeances, ont détruit tout mon bonheur : personne ne m’aime à présent ; si je meurs, personne ne me regrettera. »

Je pleurai amèrement au dedans de moi-même et je me reprochai pour la centième fois mes défauts. Une pensée consolante vint tout à coup me rendre du courage. « Si je deviens bon, me dis-je, si je fais autant de bien que j’ai fait de mal, mes jeunes maîtres m’aimeront peut-être de nouveau ; mon cher petit Jacques surtout, qui m’aime encore un peu, me rendra toute son amitié… Mais comment faire pour leur montrer que je suis changé et repentant ? »

Pendant que je réfléchissais à mon avenir, j’entendis des pas lourds approcher du mur, et une voix d’homme parler avec humeur.

« À quoi bon pleurer, nigaud ? Les larmes ne te donneront pas du pain, n’est-il pas vrai ? Puisque je n’ai rien à vous donner, que voulez-vous que j’y fasse ? Crois-tu que j’aie l’estomac bien rempli, moi qui n’ai avalé depuis hier matin que de l’air et de la poussière ?

— Je suis bien fatigué, père.

— Eh bien ! reposons-nous un quart d’heure à l’ombre de ce mur, je veux bien. »