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Fatigué de ma journée, abattu par la tristesse et le regret de ma vie passée, je me couchai sur la paille, et je remarquai que mon lit était moins bon, moins épais que celui de mon camarade. Au lieu de m’en fâcher, comme j’aurais fait jadis, je me dis que c’était juste et bien.

« J’ai été méchant, me dis-je, on m’en punit ; je me suis fait détester, on me le fait sentir. Je dois encore me trouver heureux de n’avoir pas été envoyé au moulin, où j’aurais été battu, éreinté, mal couché. »

Je gémis pendant quelque temps et je m’endormis. À mon réveil, je vis entrer le cocher, qui me fit lever d’un coup de pied, détacha mon licou et me laissa en liberté ; je restai à la porte, et je vis avec surprise étriller, brosser soigneusement mon camarade, lui passer ma belle bride pomponnée, attacher sur son dos ma selle anglaise, et le diriger devant le perron.

Inquiet, tremblant d’émotion, je le suivis ; quels ne furent pas mon chagrin, ma désolation quand je vis Jacques, mon petit maître bien-aimé, approcher de mon camarade, et le monter après quelque hésitation ! Je restai immobile, anéanti. Le bon petit Jacques s’aperçut de ma peine, car il s’approcha de moi, me caressa la tête, et me dit tristement :

« Pauvre Cadichon ! tu vois ce que tu as fait ! Je ne peux plus te monter ; papa et maman ont peur que tu ne me jettes par terre. Adieu, pauvre Cadichon ; sois tranquille, je t’aime toujours. »