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— Des gens de Laigle. On raconte que l’âne de la ferme des Haies a été emporté et dévoré dans la forêt.

— Bah ! laisse donc. Ils sont si méchants, les gens de cette ferme, qu’ils auront fait mourir leur âne à force de coups.

— Et pourquoi donc qu’ils diraient que le loup l’a mangé ?

— Pour qu’on ne sache pas qu’ils l’ont tué.

— Tout de même il vaudrait mieux rentrer nos bœufs.

— Fais comme tu voudras, frère ; je ne tiens ni à oui ni à non. »

Je ne bougeais pas dans mon coin, tant j’avais peur qu’on ne me vît. L’herbe était haute et me cachait, fort heureusement ; les bœufs ne se trouvaient pas du côté où j’étais étendu ; on les fit marcher vers la barrière, et puis à la ferme où demeuraient leurs maîtres.

Je n’avais pas peur des loups, parce que l’âne dont on parlait c’était moi-même, et que je n’avais pas vu la queue d’un loup dans la forêt où j’avais passé la nuit. Je dormis donc à merveille, et je finissais mon déjeuner quand les bœufs rentrèrent dans la prairie : deux gros chiens les menaient.

Je les regardais tranquillement, lorsqu’un des chiens m’aperçut, aboya d’un air menaçant, et courut vers moi ; son compagnon le suivit. Que devenir ? Comment leur échapper ? Je m’élançai sur les palissades qui entouraient la prairie ; le