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dans les jambes, si je savais que tu t’es sauvé, je te donnerais cent coups de bâton. »

Mon bât et ma bride étant ôtés, je m’éloignai en galopant. À peine étais-je rentré dans l’herbage, que j’entendis des cris qui venaient de la ferme. J’approchai ma tête de la haie, et je vis qu’on avait ramené la fermière ; c’étaient les enfants qui poussaient ces cris. J’écoutai de toutes mes oreilles, et j’entendis Jules dire à son père :

« Mon père, je vais prendre le grand fouet du charretier, j’attacherai l’âne à un arbre, et je le battrai jusqu’à ce qu’il tombe par terre.

— Va, mon garçon, va, mais ne le tue pas ; nous perdrions l’argent qu’il nous a coûté. Je le vendrai à la prochaine foire. »

Je restai tremblant de frayeur en les entendant et en voyant Jules courir à l’écurie pour chercher le fouet. Il n’y avait pas à hésiter, et, sans me faire scrupule cette fois de faire perdre à mes maîtres le prix qu’ils m’avaient payé, je courus vers la haie qui me séparait des champs : je m’élançai dessus avec une telle force que je brisai les branches et que je pus passer au travers. Je courus dans le champ, et je continuai à courir longtemps, bien longtemps, croyant toujours être poursuivi. Enfin, n’en pouvant plus, je m’arrêtai, j’écoutai,… je n’entendis rien. Je montai sur une butte, je ne vis personne. Alors, je commençai à respirer et à me réjouir de m’être délivré de ces méchants fermiers.

Mais je me demandais ce que j’allais devenir. Si