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pourquoi as-tu pris ce morceau de pain, Médor ? Est-ce qu’on ne t’avait pas donné ton souper ?

— Si fait, si fait. J’avais mangé ; mais le pain de ma soupe était si émietté, que je n’ai pu en rien retirer pour toi, et si j’avais pu emporter ce gros morceau que les enfants avaient fait tomber, tu aurais eu un bon régal.

— Mon pauvre Médor, c’est pour moi que tu as été battu !… Merci, mon ami, merci ; je n’oublierai jamais ton amitié, ta bonté !… Mais ne recommence pas, je t’en supplie ; crois-tu que ce pain m’eût fait plaisir, si j’avais su ce qu’il devait te faire souffrir ? J’aimerais cent fois mieux ne vivre que de chardons, et te savoir bien traité et heureux. »

Nous causâmes longtemps encore, et je fis promettre à Médor de ne plus se mettre, à cause de moi, dans le cas d’être battu ; je lui promis aussi de faire toutes sortes de tours à tous les gens de la ferme, et je tins parole. Un jour, je jetai dans un fossé plein d’eau Jules et sa sœur, et je me sauvai, les laissant barboter et se débattre. Un autre jour, je poursuivis le petit de trois ans comme si j’avais voulu le mordre ; il criait et courait avec une terreur qui me réjouissait. Une autre fois, je fis semblant d’être pris de coliques, et je me roulai sur la grande route avec une charge d’œufs sur le dos ; tous les œufs furent écrasés ; la fermière, quoique furieuse, n’osait pas me frapper ; elle me croyait réellement malade ; elle pensa que