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Sophie.

Je n’ai pas dit qu’elle avait menti ; j’ai dit « presque » ; presque n’est pas tout à fait.

Madeleine.

Comment veux-tu qu’on mente presque ? on ment ou ne ment pas.

Sophie.

Non, mademoiselle, on peut mentir presque. Ainsi, ce matin, quand Marguerite a demandé à tripoter dans l’eau pour se laver les mains, grand’mère ne voulait pas. « Tu vas te mouiller, tu vas faire des bêtises, et puis maman grondera. — Oh non ! grand’mère ; je vous en prie, cela m’amuse tant ! » Alors grand’mère, qui nous donne toujours ce que nous voulons, tu le sais bien, a donné de l’eau tiède, un beau petit savon rose, une gentille petite éponge, et Marguerite a commencé à bien s’amuser et s’est mouillée énormément. Ma tante arrive. « Quelles bêtises faites-vous là, mademoiselle ? Petite sotte, petite sale ! Vous êtes une méchante, mademoiselle ! Petite laide ! » La pauvre Marguerite allait pleurer, parce qu’elle avait peur que ma tante ne la fouettât ; mais grand’mère a dit bien vite : « Ne la gronde pas ; ce n’est pas sa faute ; c’est moi qui lui ai donné de quoi se laver les mains ; j’aurais dû lui relever ses manches, je n’y ai pas pensé. Tu vois bien qu’il ne faut pas la gronder, la pauvre petite. » Et ma tante n’a plus rien dit. Tu vois que grand’mère a presque menti, puisqu’elle a laissé croire à ma tante que c’était par obéissance que Marguerite se lavait les mains.