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les quinze francs sur la table sans mot dire et sortit au moment où Lamalice rentrait. La mère Sanscœur lui raconta ce qui s’était passé, sauf les paroles de Lamalice, qu’elle n’avait pas entendues, de sorte qu’elle ne comprenait rien à la conduite d’Esbrouffe.

« Bien sûr qu’il a perdu l’esprit. Il m’a réellement fait peur un moment ; ses pieds ne posaient pas à terre ; il criait, il gigotait, il hurlait. Et puis ce garçon, qui ne donnerait pas un sou pour sauver la vie d’un homme, et qui me donne quinze francs sans que je les lui demande !

— C’est vrai, cousine, que c’est singulier ; mais j’aimerais mieux tout de même que ce méchant homme ne vînt pas chez nous.

— Je crois bien, petite, qu’il n’y viendra pas souvent. »

La mère Sanscœur et Lamalice se remirent à l’ouvrage. Quand la mère Sanscœur alla préparer le dîner, Lamalice, qui était libre de s’amuser, se souhaita près d’Esbrouffe ; elle n’eut pas beaucoup de chemin à faire, car il était près du mur qui séparait les deux jardins. Sa poche était pleine de pierres, qu’il lançait contre les fruits du poirier merveilleux. Il n’avait pas encore réussi à en attraper une seule. Lamalice, plus habile que lui, ramassait et lançait aussi des pierres qui tombaient des mains d’Esbrouffe et attrapait à tout coup ses joues et son nez rouges. Il crut d’abord que quelque chose lui avait sauté à la figure, mais la quantité de blessures qu’il recevait lui fit craindre une nouvelle attaque