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une maison habitée, pour y coucher ; un soir, il neigeait, le froid était terrible, j’étais presque fou de fatigue, de froid, de misère ; un besoin irrésistible d’avaler quelque chose de chaud s’empara de moi ; une soupe aux raves bien chaude m’eût paru un régal de Balthazar ; je courus, sous cette impression, vers une lumière qui m’apparaissait à quelques centaines de pas ; j’arrivai devant une izboucha (petite izba) habitée par un jeune homme, sa femme et deux enfants. J’appelai ; on m’ouvrit.

« — Qui es-tu ? Que veux-tu ? demanda le jeune homme.

« — Je suis un voyageur égaré. J’ai froid, j’ai faim ; donnez-moi quelque chose de chaud à avaler.

« — Entre ; que Dieu te bénisse ! Mets-toi sur le banc ; nous allons souper. »

« Je tombai plutôt que je ne m’assis sur le banc devant lequel était la table chargée d’une terrine de soupe, un pot de kasha (espèce de bouillie épaisse au sarrasin) et une cruche de kvass (boisson russe assez semblable au cidre). La jeune femme me regardait avec surprise et pitié ; elle s’empressa de me servir de la soupe aux choux toute bouillante ; j’avalai ma portion en un instant ; je n’osais en redemander ; mes regards avides parlaient sans doute pour moi, car le jeune homme se mit à rire et me servit une seconde copieuse portion.

« Mange, ami, mange ; si tu as peur des gendarmes, rassure-toi, nous ne te dénoncerons pas. »

Je le remerciai des yeux et j’engloutis la seconde