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— Cher et respectable ami, dit Romane en se jetant dans les bras du général, qui le serrait contre son cœur et qui essuyait ses yeux humides ; cher comte, cher ami ! reprit Romane en se rejetant à sa place le visage baigné de larmes, pardonnez…, oh ! pardonnez-moi ces larmes indignes d’un homme ! Mais… j’ai trop souffert pendant ce voyage ; trop ! trop ! Je suis à bout de forces ! »

Mme Dabrovine serrait aussi la main de Romane et pleurait. Natasha, stupéfaite, regardait, écoutait et ne comprenait pas.

« Maman, dit-elle, maman ! Qu’est-ce ? Pourquoi pleurez-vous ? Qu’est-il arrivé à ce pauvre M. Jackson ?

— Pauvre, dites heureux comme un roi, ma chère, excellente enfant, s’écria Romane en serrant le bras de Natasha à la faire crier… Pardon, pardon, ma chère demoiselle, je ne sais plus ce que je dis, ce que je fais. Pensez donc ! ne plus avoir en perspective cette Sibérie, enfer des vivants ! Ne plus avoir d’inquiétudes pour vous tous, que j’aime, que je vénère ! Me trouver en sûreté ! et avec vous ! près de vous ! Libre, libre ! Plus de Jackson ! plus d’Angleterre !… La Pologne ! ma mère, ma sainte, ma catholique patrie ! Comprenez-vous ma joie, mon bonheur ? Chère enfant, vous qui êtes si bonne, réjouissez-vous avec moi. »

La surprise de Natasha redoublait. Ses grands yeux bleus, démesurément ouverts, se portaient alternativement sur Romane, sur sa mère, sur son oncle.