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L’AUBERGE DE L’ANGE-GARDIEN.
MOUTIER.

Après Inkermann ! j’ai toujours eu de la chance ! Après l’Alma, caporal, puis sergent, puis la médaille, puis la croix.

JACQUES.

Racontez-nous ce que vous avez fait pour avoir tout cela, mon bon monsieur Moutier.

MOUTIER.

Mon Dieu, j’ai fait comme les autres ; seulement à l’Alma, j’ai eu le bonheur de sauver mon colonel blessé ; je suis tombé sur un groupe de Russes qui l’emportaient ; j’ai sabré, piqué, je me suis tant démené, que j’en ai tué, blessé ; les autres sont partis tout courant et criant : Tchiorte ! tchiorte ! Ce qui veut dire : le diable ! le diable !

MADAME BLIDOT.

Et puis, pour le reste ?

MOUTIER.

Eh bien, après Inkermann, ils m’ont nommé sergent, parce qu’ils ont dit que j’avais fait le travail de dix et que j’ai dégagé un canon que les Russes enclouaient ; un canon anglais ! Beau mérite ! il ne valait pas la douzaine de pauvres diables que j’ai tués pour le ravoir. Mais enfin, c’est comme ça ; je suis devenu sergent tout de même.

ELFY.

Et la médaille ?

MOUTIER.

Vous n’oubliez rien, mamzelle Elfy ! La médaille, c’est à Traktir, pour avoir culbuté quelques Russes dans le ruisseau au-dessous. Nos hommes avaient perdu leur sous-lieutenant ; c’est moi qui avais pris le com-

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