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chagrin des plus cruels. Et comment moi, occupé de mon service près de vous, mon général, pourrais-je veiller sur mes enfants, continuer leur éducation si bien commencée ? Et puis, mon général, si ces enfants vous fatiguent, vous ennuient, soit en route, soit en Russie, que deviendrons-nous ? »

Dérigny s’arrêta triste et pensif. Le général l’avait écouté attentivement et sans colère.

« Et si vous me quittez, mon ami, que deviendrez-vous, que ferez-vous de vos enfants ? »

Dérigny prit sa tête dans ses mains avec un geste de douleur et dit d’une voix émue :

« Voilà, mon général ; c’est ça, c’est bien ça. Mais que puis-je, que dois-je faire ? Pardon si je vous parle aussi librement, mon général ; vous m’avez encouragé, et je me livre à votre bonté.

LE GÉNÉRAL.

Dérigny, j’ai déjà pensé à tout cela ; j’en ai même parlé au curé. Vos enfants ne peuvent ni quitter madame Blidot ni rester où ils sont ; le mariage d’Elfy donne un maître à la maison et annule l’autorité de madame Blidot ; elle et les enfants ne tarderaient pas à être mal à l’aise. Il n’y a qu’un moyen pour vous, un seul, de garder vos enfants et de leur laisser cette excellente mère qui remplace si bien celle qu’ils ont perdue. Épousez-la. »

Dérigny fit un bond qui fit sauter le général.

DÉRIGNY.

Moi ? mon général ! Moi, sans fortune, sans famille, sans avenir, épouser madame Blidot qui est riche, qui ne songe pas à se remarier ? C’est impossible, mon gé-