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L’AUBERGE DE L’ANGE-GARDIEN.

MOUTIER.

Non, ma bonne hôtesse, je ne dirais ni ne penserais rien de tout cela. Seulement… seulement… je ne sais comment dire… je vous suis obligé, reconnaissant… mais vrai, je ne vous connais pas beaucoup… et… et…

L’HÔTESSE.

Vous pouvez bien dire que vous ne me connaissez pas du tout ; mais vous n’en pourrez pas dire autant, si vous voulez aller prendre des informations sur la femme Blidot, aubergiste de l’Ange-Gardien. Allez chez M. le curé, chez le boucher, le charron, le maréchal, le maître d’école, le boulanger, l’épicier, et bien d’autres encore : ils vous diront tous que je ne suis pas une méchante femme. Je suis veuve ; j’ai vingt-six ans ; je n’ai pas d’enfants, je suis seule avec ma sœur qui a dix-sept ans ; nous gagnons notre vie sans trop de mal ; nous ne manquons de rien ; nous faisons même de petites économies que nous plaçons tous les ans ; il me manque des enfants ; en voilà deux tout trouvés. Je ne vous demande rien, moi, pour les garder ; je n’en fais pas une affaire. Seulement, je sais que je les aimerais, que je ne les rendrais point malheureux et que vous aurez la conscience tranquille à leur égard. »

Moutier se leva, serra les mains à l’hôtesse dans les siennes et la regarda avec une affectueuse reconnaissance.

« Merci, dit-il d’un accent pénétré. Où demeure votre curé ?

— Ici, en face ; voici le jardin du presbytère ; poussez la porte et vous y êtes. »

Moutier prit son képi et alla voir le curé pour lui parler de madame Blidot et lui demander un bon con-