Page:Ségur - L’auberge de l’ange gardien.djvu/29

Cette page a été validée par deux contributeurs.
23
L’AUBERGE DE L’ANGE-GARDIEN.

goutte de café et d’eau-de-vie, il leva les yeux, vit l’hôtesse, sourit, et, s’accoudant sur la table :

« Vous attendez l’histoire que je vous ai promise, dit-il ; la voici : elle n’est pas longue, et vous m’aiderez peut-être à la finir. »

Il lui fit le récit de sa rencontre avec les enfants ; sa voix tremblait d’émotion en redisant les paroles de Jacques et en racontant les soins qu’il avait eus de son petit frère, son dévouement, sa tendresse pour lui, le courage qu’il avait déployé dans leur abandon et sa touchante confiance en la sainte Vierge.

« Et à présent que vous en savez aussi long que moi, ma bonne dame, aidez-moi à sortir d’embarras. Que puis-je faire de ces enfants ? Les abandonner ? Je n’en ai pas le courage ; ce serait rejeter une charge que je puis porter, au total, et refuser le présent que me fait le bon Dieu. Mais j’ai une longue route à faire : je quitte mon régiment et je rentre au pays. C’est que je n’y suis pas encore ; j’ai à faire quatre étapes de sept à huit lieues. Et comment traîner ces enfants si jeunes, par la pluie, la boue, le vent ? Et puis, je suis garçon ; je ne suis pas chez moi ; personne pour les garder. Mon frère est aubergiste, comme vous, et n’a que faire de moi ; mon père et ma mère sont depuis longtemps près du bon Dieu ; mes sœurs sont mariées et elles ont assez des leurs, sans y ajouter des pauvres petits sans père ni mère, et sans argent. Voyons, ma bonne hôtesse ! vous m’avez l’air d’une brave femme… Dites… Que feriez-vous à ma place ?

L’HÔTESSE.

Ce que je ferais ?… ce que je ferais ?… Parole d’honneur, je n’en sais rien.